Paroles de poilus : extraits

PAROLES DE POILUS :

Lettres et carnets du front  1914-1918

2 novembre 1914

Mes hommes trouvent mille petits moyens ingénieux pour se distraire ; actuellement, la fabrication de bagues en aluminium fait fureur : ils les taillent dans des fusées d’obus, les Boches fournissant ainsi la matière première « à l’œil » ! Certains sont devenus très habiles et je porte moi-même une jolie bague parfaitement ciselée et gravée par un légionnaire.

Marcel Planquette. 1915

 

Je  ne sais pas si je pourrais dormir dans un lit à présent, on est habitué  à coucher par terre ou sur la paille quand on peut en trouver. Il y a bien deux mois que je ne me suis pas déshabillé, et j’ai enlevé mes souliers cette nuit pour dormir ; il y avait au moins quinze jours que je ne les avais pas quittés.

Je vais te donner quelques détails comment nous avons passé la nuit dans la tranchée. Celle que nous avons occupée a une longueur de cent mètres à peu près, construite à la lisière d’un petit bois (…) ; elle est profonde d’un mètre, la terre rejetée en avant, ce qui fait que l’on peut passer debout sans être vu. La largeur

est généralement de quinze centimètres et l’on fait de place en place des endroits un peu plus larges de façon à pouvoir se croiser quand on se rencontre. Dans le fond de la tranchée et sous le terrain, on creuse de petites caves où un homme peut tenir couché, c’est pour se garantir des éclats d’obus.

Adolphe Wegel. 4 décembre 1914

 

Ma bien chère Lucie,

Quand cette lettre te parviendra, je serai mort fusillé.

Voici pourquoi :

Le 27 novembre, vers 5 heures du soir, après un violent bombardement de deux heures, dans une tranchée de première ligne, alors que nous finissions la soupe, des Allemands se sont amenés dans la tranchée, m’ont fait prisonnier avec deux autres camarades. J’ai profité d’un moment de bousculade pour m’échapper des mains des Allemands. J’ai suivi mes camarades, et ensuite, j’ai été accusé d’abandon de poste en présence de l’ennemi.

Nous sommes passés vingt-quatre hier soir au Conseil de Guerre. Six ont été condamnés à mort dont moi. Je ne suis pas plus coupable que les autres, mais il faut un exemple. Mon portefeuille te parviendra avec ce qu’il y a dedans. (..)

Je meurs innocent du crime d’abandon de poste qui m’est reproché. Si au lieu de m’échapper des Allemands, j’étais resté prisonnier, j’aurais encore la vie sauve. C’est la fatalité.

Ma dernière pensée, à toi, jusqu’au bout.

Henry Floch Le 13 novembre 1918

Chers parents (…)

Le 9, à 10 heures du matin on faisait une attaque terrible dans la plaine de Woëvre. Nous y laissons trois quarts de la compagnie, il nous est impossible de nous replier sur nos lignes ; nous restons dans l’eau trente-six heures sans pouvoir lever la tête ; dans la nuit du 10, nous reculons à 1 km de Dieppe ; nous passons la dernière nuit de guerre le matin au petit jour puisque le reste de nous autres est évacué ; on ne peut plus se tenir sur nos jambes ; j’ai le pied gauche noir comme du charbon et tout le corps tout violet ; il est grand temps qu’il vienne une décision, où tout le monde reste dans les marais, les brancardiers ne pouvant plus marcher car le Boche tire toujours ; la plaine est plate comme un billard.

A 9 heures du matin, le 11, on vient nous avertir que tout est signé et que cela finit à 11 heures, deux heures qui parurent durer des jours entiers.

Enfin, 11 heures arrivent ; d’un seul coup, tout s’arrête, c’est incroyable.

Nous attendons 2 heures ; tout est bien fini ; alors la triste corvée commence, d’aller chercher les camarades qui y sont restés.

Eugène

Eugène Poézévara avait dix-huit ans en 1914. Il écrivait souvent à ses parents, des Bretons qui habitaient à Mantes-la-Jolie. Eugène a été gazé sur le front, et il est mort d’épuisement dans les années 20

 

Notre tranchée a une longueur de 100 mètres. Elle est profonde d'un mètre et la terre a été jetée devant, si bien que l'on peut passer debout sans être vu. Elle est très étroite et par endroits, on a creusé plus largement pour pouvoir se croiser quand on se rencontre. Dans le fond, on creuse de petites caves où un homme peut se coucher pour se protéger des obus.

Lettre d’Adolphe Wegel, 1915, Paroles de poilus.

 

La pluie approche. Une goutte tombe sur mon képi. Après une heure, la pluie redouble : c'est l'averse. Accroupis dans la tranchée, nous attendons. L'uniforme s'imprègne brin à brin. Après trois heures, je sens comme un doigt froid sur ma chair. C'est l'eau qui pénètre. Manteau, veste, chandails, chemise ont été traversés. Après quinze heures, il pleut. La nuit froide glace l'eau dont nous sommes revêtus. Après vingt-quatre heures, il pleut. La canonnade redouble. Je me baisse, je me couche au fond de la tranchée, dans l'eau. Après deux jours, il pleut.

Lettre d’André Fribourg au journal l’Opinion, 1915, Anovi,

Voici comment se passent nos nuits. À 8 heures 1/2, la canonnade s'arrête peu à peu. Le silence règne enfin. On entend les pas des soldats, les roulements des caissons de ravitaillement. Défense d'allumer des feux. On mange froid et l'on se couche, à même le sol. On dort tout équipé. Pas de couverture. Des loques humaines couchées en désordre. Une heure du matin. Bing ! Un coup de feu. Bing ! Un autre coup. Une fusillade éclate. L'ennemi attaque comme toutes les nuits, pour nous fatiguer. Quel réveil de cauchemar.

 

Lettre de Jean de Pierre feu à un ami, 1914, Anovi,

  J'ai le cafard. Voilà six mois que ça dure, six mois, une demi-année qu'on traîne entre la vie et la mort, cette misérable existence qui n'a plus rien d'humain ; six mois sans espoir. Pourquoi tout ce massacre ? Est-ce la peine de faire attendre la mort si longtemps à tant de milliers de malheureux, après les avoir privés de vie pendant des mois. Nous devenons des brutes. Je le sens chez les autres, je le sens chez moi. Je deviens indifférent, sans goût, j'erre, je ne sais quoi faire.

Lettre d’Etienne Tanty, 1915, Anovi, 

 

Voilà près d'un mois que je ne me suis ni déshabillé, ni déchaussé ; je me suis lavé deux fois : dans une fontaine et dans. un ruisseau près d'un cheval mort ; je n'ai jamais approché un matelas ; j'ai passé toutes mes nuits sur la terre. On dort un quart d'heure de temps en temps. On dort debout, à genoux, assis, accroupis et même couché. On dort le jour ou la nuit, à midi ou le soir. On dort sur les chemins, dans les taillis, dans les tranchées, dans les arbres, dans la boue. On dort même sous la fusillade. Le silence seul réveille.

 

Lettre d’André Fribourg au journal l’Opinion, 1915, Anovi, 

Je viens de déjeuner, mais qu'est-ce qu'une demi-boule de pain pour une journée ! J'en ai mangé la moitié et j'ai encore plus faim. Rien que le matin, il me faudrait la boule entière ! Le froid aiguise terriblement l'appétit et, ne pouvant le satisfaire, on est obligé de se recoucher.

Lettre d’Etienne Tanty, 1914, Anovi, 

 

À deux heures et demie, un aéroplane allemand survole nos positions. Nous étions repérés et vingt minutes après, le premier obus éclatait à six pas de moi. J'ai été soulevé, projeté à cinq mètres, tout le corps anéanti, couvert de sang. Je me suis levé, abruti, incapable d'articuler un son et j'ai marché. Des hommes étaient couchés sur la route, morts. J'ai couru. Quelle grêle d'obus ! J'en entends un au-dessus de moi, je me lance dans la tranchée, il éclate à un mètre, je me relève, je pars de nouveau. Je me disais : jamais je n'arriverai à l'ambulance. Ah ! Mon ami, que c'est laid la guerre moderne.

Lettre de Jean de Pierrefeu à un ami, 1914, Anovi, 

 

http://www.archives71.fr/article.php?laref=139&titre=lettre-d-un-poilu

Transcription conforme à l'original
Mercredi 29 septembre 1915
Ma chère Louisette,
Je t'ai promis, presque solennellement, de te dire la vérité ; je vais m'exécuter, mais en revanche tu m'as donné l'assurance que tu aurais les nerfs solides et le coeur ferme.
Je suis depuis ce matin dans des tranchées conquises depuis 2 jours, l'ensemble de ces tranchées et boyaux forme un véritable "labyrinthe", où j'ai erré 3 heures cette nuit, absolument perdu. Les traces de la lutte ardente y sont nombreuses et saisissantes ; et d'abord elles sont plus qu'à moitié détruites par l'ouragan de mitraille que notre artillerie y a lancé, aussi sont-elles incommodes et horriblement sâles malgré les réparations urgentes que nous y avons faites ; tout y manque : l'eau (propre ou sale), les boyaux, les latrines ; elles sont à moins de 200 mètres de la 1ère ligne ennemie, avec laquelle elles communiquent par des boyaux obturés ; elles sont parsemées de cadavres français et allemands ; sans presque me déranger j'en compte bien 20 figés dans les attitudes les plus macabres. Ce voisinage n'est pas encore nauséabond, mais il fait tout de même mal aux yeux ; ce matin, à 5 heures, nous arrivons mouillés et harassés, et j'entre dans le premier abri venu pour me détendre, j'avise une bonne planche, m'y étends, la trouve moelleuse, mais 5 minutes après je m'aperçois qu'elle fait sommier sur 2 cadavres allemands ; et bien, crois-moi, ça fait tout de même quelque chose, au moins la 1ère fois. On marmite fort tout autour de nous et vraiment c'est parfois un vacarme ; déjà je ne salue presque plus.
Le mal n'est pas là ; il est surtout dans le temps qui est affreux ; depuis 3 jours au moins, les rafales de pluie succèdent aux averses ; les boyaux sont des fondrières inommables, où l'on glisse, où l'on se crotte affreusement ; aussi suis-je sâle au superlatif, au moins jusqu'à la ceinture ; mes mains sont boueuses et les resteront jusqu'au départ ; mes souliers sont pleins d'eau ; heureusement le corps est sec, car l'air est presque froid et le ciel livide. Autour de moi les gens font une tête ! Il nous faudra beaucoup de patience et de moral.
Nous sommes coiffés du nouveau casque en tôle d'acier ; c'est lourd et incommode, mais cela donne une sérieuse protection contre les éclats de fusants et contre les ricochets, aussi le porte-t-on sans maugréer. Nous avons aussi tout un attirail contre les gaz asphyxiants. Mais nous serons mal ravitaillés : un seul repas, de nuit, qui arrivera froid le plus souvent ; et cela s'explique à la fois par la longueur des boyaux et par la difficulté de parcourir une large zone découverte.
A ce tableau un peu sombre mais véridique il convient d'ajouter deux correctifs ; d'abord nous aurons un rôle défensif, nous sommes chargés de mettre en état le secteur très bouleversé ; ensuite les Allemands contre-attaquent peu, par suite du manque d'effectifs et de l'état de leurs affaires en Champagne. Pour ces 2 raisons, il se pourrait très bien que nous n'ayons pas à les regarder dans les yeux ; c'est d'ailleurs le voeu unanime ici.
Ma lettre va t'arriver en pleine période de réinstallation et de soucis ; j'essayerai d'en prendre ma part de loin ; cela me distraira et me fondra un peu plus avec vous. Je te souhaite du calme et du courage pour triompher de ces petites difficultés.
Tu sais combien je t'aime et quels tendres baisers je t'envoie, partage avec nos chers petits. 
(signé) Déléage
P.S. J'approuve absolument ta décision relative à la gentille offre de Catherine.

 

A LIRE : http://www.fissiaux.org/verdun14-18/?

EXEMPLE DE LETTRE

Karl Fritz, caporal.

Argonne, le 16 Août 1916

Chers parents et chères soeurs,

Le 2, à Saint-Laurent, nous avons entendu le signal de l'alerte. On est venu nous chercher avec des véhicules, et on nous a amenés jusqu'à quelques kilomètres du front de Verdun. [...]

Vous ne pouvez pas avoir idée de ce qu'on a vu là-bas. Nous nous trouvions à la sortie de Fleury, devant le fort de Souville. Nous avons passés trois jours couchés dans des trous d'obus à voir la mort de près, à l'attendre à chaque instant. Et cela, sans la moindre goutte d'eau à boire et dans une horrible puanteur de cadavres. Un obus recouvre les cadavres de terre, un autre les exhume à nouveau. Quand on veut se creuser un abris, on tombe tout de suite sur des morts. Je faisais partie d'un groupe de camarades, et pourtant chacun ne priait que pour soi. Le pire, c'est la relève, les allées et venues. A travers les feux de barrages continus. Puis nous avons traversé le fort de Douaumont, je n'avais encore jamais rien vu de semblable. Là, il n'y avait que des blessés graves, et ça respirait la mort de tous les côtés. En plus, nous étions continuellement sous le feu. Nous avions à peu près quarante hommes morts ou blessés. On nous a dit que c'était somme toute assez peu pour une compagnie. Tout le monde était pâle et avait le visage défait. Je ne vais pas vous en raconter davantage sur notre misère, je pense que ça suffit. Nous étions commandés par un certain adjudant Uffe. On ne l'a pas vu. Mais le Seigneur m'est venu en aide. Là-dessus, nous sommes repartis pour Spincourt où on nous a chargés sur des véhicules à destination de Grandpont, puis nous sommes revenus en deux jours à nos positions devant Chapelle, où nous sommes maintenant un peu mieux installés.

Je vais écrire à Guste. Je vous embrasse de tout coeur et vous recommande à Dieu.

Votre fils et frère reconnaissant.

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